L’ère des pédagogies narratives

le 16/12/2025

La pédagogie est un domaine qui s’invente et se réinvente au gré du temps et des problématiques qu’elle rencontre. Un nouveau courant de pensée à vue le jour avec les « narratives practices » ou le « narrative learning ».

L’histoire devient une méthodologie de la formation. Comme toutes les innovations, elles sont d’abord critiquées pour au final voir leur potentiel pédagogique et social. Aujourd’hui, que faut-il penser des pédagogies narratives, s’agit-il d’une nouvelle mode éphémère ou d’un changement structurel de nos paradigmes métier ? Et surtout, quelles conséquences sur les pratiques métier au sein des entreprises ?

L’apport du narratif dans la pédagogie

La place du narratif est née des questionnements du paradigme dominant. La domination du scientisme du 19ème siècle, étant moins forte, elle ouvre voie à des alternatives sociales. Le mouvement rabelaisien de transformation fait émerger une mise en concurrence pour permettre le basculement de la vision sociale de la formation, la bonne formation change. L’efficacité est le premier atout, le récit incarné augmente l’ancrage mnésique de l’apprentissage. « Les souvenirs émotionnels sont résilients ; ils persistent même lorsque nous souhaitons les oublier » (Joseph LeDoux, The emotional brain, 1996)). L’émotion du récit est au cœur d’une nouvelle place donné à l’apprenant, il n’est plus seulement rationnel mais aussi émotionnel. « Le raisonnement n’est pas détaché de l’émotion, il en dépend » disait Antonio Damasio (L’erreur de Descartes, 1994). Sans émotion pas d’apprentissage, l’histoire formative fonctionne parce qu’elle engage l’affect, la transmission a besoin d’être animée pour être inspirante.

Les neurosciences confortent cette idée, le cerveau humain est fait pour faire des histoires, reliant les expériences pour construire une cohérence sociale : la mémoire épisodique, est celle qui permet émotionnellement de se rappeler des souvenirs vécus et le son contexte ; la mémoire sémantique est celle qui organise rationnellement les connaissances hors contexte, et la mémoire autobiographique celle qui permet de construire son identité avec une synthèse des deux autres mémoires. L’homme est un faiseur d’histoires. Le neuroéconomiste Paul Zak montre que les histoires augmentent la libération d’ocytocine, hormone de l’attachement et de l’empathie. « L’ocytocine nous rend plus disposés à coopérer, à apprendre des autres et à nous soucier d’eux » (Why inspiring stories make us react, 2014) L’histoire n’est pas un artifice pédagogique, elle est une source de bien-être social qui favorise l’engagement. Elle stimule l’envie de contribuer, d’imiter des pratiques, de s’identifier à un métier.

L’histoire donne du sens, elle organise la mémoire rationnelle et émotionnelle des apprentissages et favorise l’histoire de ses propres attachements, de sa propre identité professionnelle. Paul Zak montre également que l’histoire augmente le sens de la coopération (Neuroscience for organizational, 2017). Au moment où l’idée de faire sens est invoquée par de nombreux pédagogues, l’histoire devient l’outil pour permettre de faire sens. L’histoire est un outil pédagogique pour créer un attachement rationnel et émotionnel qui soutient la performance. Le métier est souvent lié au cœur de l’histoire sociale. Une organisation qui ne raconterait pas ses métiers produirait des collaborateurs émiettés pour reprendre l’appellation de George Friedman, des travailleurs isolés. Le narratif constitue une mémoire commune qui donne envie à l’apprenant d’appartenir à cette communauté. La pédagogie narrative est un outil pour faire des liens professionnels autour d’une identité partagée, elle fabrique « l’ère du Nous » pour reprendre Martin Heidegger. Etre un formateur a du sens et donne un sentiment de fierté à celui qui en fait son métier. Il porte l’histoire du métier.