Upskilling, reskilling, cross skilling : la compétence comme outil de gestion de crise


1. Pour planter le décor : stp, dessine-moi une compétence

2. Le service RH au cœur de la bataille

3. Upskilling, reskilling, cross skilling : quelle option pour quel objectif ?

La check list : comment et pourquoi il est urgent d’agir ?

1987, nos compétences duraient environ 30 ans…
2021, nombre d’études estiment que nos compétences génériques sont obsolètes en 3 à 5 ans et nos compétences techniques en 12 à 18 mois environ. Certaines compétences très pointues, en informatique notamment, seraient frappées d’obsolescence en moins d’une année.

La crise sanitaire et les profonds bouleversements de nos modes de vie, de consommation, de communication, de travail qu’elle a entraînés, ajoutent à cette mutation structurelle une obsolescence conjoncturelle des compétences. La bonne nouvelle au regard de l’Histoire tient à ce que les crises stimulent nos capacités à désapprendre pour réapprendre et s’adapter au changement brutal et imprévisible qui survient.

En période d’économie pandémique, la compétence et l’optimisation des rôles de chaque collaborateur dans la structure deviennent des leviers clés. La performance passe alors par une réorganisation collective du travail assise sur les savoir-faire et savoir-être individuels. Dans cette dynamique, les RH et les managers sont en première ligne pour aligner les besoins en compétence avec les objectifs business de l’entreprise. Il leur revient d’identifier ces besoins en compétences pour combler les écarts en intégrant les actions de formation au cœur du processus de production. Ils seront alors à même d’orchestrer les nouveaux modes de travail collaboratifs dans des espace-temps productifs plus que dans des lieux de production.

Deux options non exclusives l’une de l’autre, s’offrent à l’entreprise pour se doter des savoirs, savoir-faire et savoir-être qui lui permettront de poursuivre son développement et de reconquérir ou conserver sa position sur le marché :

  • le recrutement avec des enjeux d’acculturation aux valeurs, méthodes et process internes puis de fidélisation ;
  • la formation, la promotion, la requalification des collaborateurs en place.

Dans tous les cas, la mise en place de stratégies de développement des compétences en continu (upskilling), de reconversion des salariés en poste (reskilling) ou nouvellement recrutés et/ou de diversification des compétences (cross skilling) constitue le bras armé de la sortie de crise et une réponse incontournable à la mutation des métiers et à l’automatisation d’une multitude de missions dans l’entreprise.

Upskilling (développement des compétences), reskilling (reconversion) et cross skilling (adjonction de compétences complémentaires), leviers stratégiques de l’entreprise en sortie de crise ?

1.
Pour planter le décor :
stp, dessine-moi une compétence

Selon Guy Le Boterf, expert en RH, formation et management et professeur à l’université de Sherbrooke, la compétence est la capacité à « mobiliser ou activer plusieurs savoirs, dans une situation et un contexte donnés ».

Une définition à compléter par celle de Philippe Zarifian, sociologue français, qui voit dans la compétence : « l’intelligence pratique des situations qui se manifeste par l’autonomie, les prises de responsabilités et la communication. »

Pour faire plus ample connaissance avec Guy Le Boterf, retrouvez-le dans une interview du Mag RH en scannant le QR Code.

À partir de son capital de connaissances et de son expérience, un individu peut ainsi, par une diversité de modèles combinatoires, construire des compétences variées. Guy Le Boterf distingue 3 éléments constitutifs de la compétence :

  1. le savoir agir développé par la diversité des situations de formation (apports didactiques, on the job learning, peer to peer learning, mises en situation…) ;
  2. le vouloir agir renforcé par la mise en perspective de l’action, le sens donné à la construction des compétences, l’image positive de soi, un environnement de confiance ;
  3. le pouvoir agir directement dépendant de l’entreprise qui devra créer une organisation du travail permettant le déploiement des performances individuelles et collectives, offrir les moyens d’action et les ressources adéquates à ses collaborateurs.

La compétence permet ainsi d’utiliser les capacités générales des individus pour servir les objectifs spécifiques de l’entreprise.

Dans ce contexte, la relation est étroite entre compétence individuelle et compétence collective. La dimension de coopération est déterminante. En effet, la compétence collective ne saurait être regardée comme la somme des compétences individuelles. C’est donc l’organisation du travail collaboratif et le management qui peut structurer et faire émerger la compétence collective. Et c’est bien la formation tout au long de la vie qui peut maintenir la compétence individuelle, agrégat de la compétence collective.

Au niveau individuel, nos compétences connaissent un cycle de vie comparable au cycle de vie d’un produit :

  • une phase d’acquisition, qu’elle soit formelle ou informelle ;
  • une phase de développement lors des premières transpositions et mobilisations en situation de travail ;
  • une phase de maturité lorsque, parfaitement maîtrisée, l’utilisation de ces compétences devient routinière ;
  • une phase de déclin suivie d’obsolescence lorsque l’individu cesse d’utiliser ces compétences sur une période plus ou moins longue ou lorsque les processus, savoirs ou savoir-faire ayant évolué, ces compétences n’ont plus à être mobilisées dans le cadre dans lequel elles trouvaient à s’exprimer jusqu’alors.

A consommer rapidement…

Si de nombreuses études estiment à moins de 18 mois la viabilité des compétences techniques et moins de 5 ans les compétences générales, cela signifie qu’au-delà, sans actualisation, elles sont frappées d’obsolescence. Concrètement, cette obsolescence se mesure donc par l’écart constaté entre les compétences maîtrisées par un collaborateur et leur adéquation au poste à un instant « t ».

Plus l’écart se creuse au vu des mutations organisationnelles, techniques, humaines, plus le besoin de formation devient crucial, avant d’atteindre un point de non-retour et une déqualification tant individuelle, qu’organisationnelle.

Une étude de degreed (entreprise spécialisée dans les outils de gestion de la compétence), identifie les compétences clés de 2021 au niveau mondial, par pays, par secteur, par fonction… Les hard skills s’articulent avec les soft-skills pour répondre aux challenges de notre économie en mutation. On remarquera la large place des soft-skills, les seules à bénéficier d’une obsolescence limitée, dans les tableaux.

L’étude confirme en outre la prise de conscience croissante d’un besoin de montée en compétence suite à la pandémie. En France, 39% des sondés estiment que la crise sanitaire, qui a fait le lit de la crise économique, a accéléré la demande de nouvelles compétences. Par comparaison, en Inde ce sont 72% des sondés qui en sont convaincus.

Pour accéder à l’intégralité de l’étude degreed, scannez le QR Code.

2.
Le service RH
au cœur de la bataille

Le DRH est-il en train de prendre le pouvoir dans l’entreprise ? Nombre de grands groupes avaient déjà intégré le DRH au Comex avant la crise. Désormais, il devient le garant de la stratégie de gestion des besoins de compétences actuels et futurs de l’entreprise. Le service RH doit et devra plus encore dans les mois qui viennent, être capable d’identifier les compétences clés en ligne avec les objectifs business de son organisation et bénéficier de la légitimité et de la latitude pour agir en concertation étroite avec la direction générale. Il porte et portera la transformation de l’entreprise vers une organisation apprenante capable de mettre des collaborateurs compétents et performants au regard des défis économiques qui s’amplifient.

Le développement des compétences des collaborateurs ne passe plus seulement par des actions de formation ponctuelles et isolées sur des temps spécifiques mais par la mise en place de processus d’apprentissage intégrés dans la chaîne de production au sein des équipes, du mentorat entre pairs, de promotion du travail collaboratif et de retours d’expériences, par exemple.

Pour éviter que ce plan d’action ne demeure un vœu pieux, les services RH vont devoir s’appuyer sur les managers pour engager, motiver et fidéliser l’ensemble des collaborateurs :

  • en ouvrant des temps de dialogue pour accompagner leur évolution professionnelle et leur offrir des perspectives qui dépassent le volet rémunération ;
  • en faisant preuve de transparence sur les opportunités internes et les défis futurs ;
  • en instaurant entre managers et collaborateurs une véritable culture du feedback qui permettra à chacun de mesurer l’efficacité de ses actions et d’ajuster ses pratiques pour progresser.

Cette communication renforcée devrait permettre au service RH de disposer d’un état des compétences individuelles et collectives à un instant « t » dans l’entreprise. La mise en place d’un SIRH qui intègre notamment une cartographie des compétences, les dispositifs de formation au sens large, les offres de postes ouverts en interne et les recrutements externes viendra outiller la démarche.

Le service RH sera alors en capacité de confronter la cartographie de compétences et les actions à mettre en œuvre pour répondre aux besoins avec les attentes et les enjeux définis par la direction générale, qu’il s’agisse :

d’upskilling pour développer les compétences des collaborateurs en poste tout au long de leur carrière dans l’entreprise ;
de reskilling pour organiser la reconversion des salariés dont les fonctions ont largement évolué ou sont en train de disparaître ;
ou de cross skilling pour étendre les périmètres fonctionnels des équipes en les dotant de compétences nouvelles ou connexes qui viendront s’articuler avec leurs compétences déjà acquises.

3.
Upskilling, reskilling, cross skilling :
quelle option pour quel objectif ?

Dis-moi quel est l’objectif, je te dirai quel est le qualificatif… Dans un contexte de besoin de compétences nouvelles ou actualisées, l’entreprise dispose de plusieurs options selon sa situation, son secteur ou le niveau d’impact de la crise sanitaire.

Selon une étude de PWC de 2019, la très large majorité des dirigeants en France et dans le monde anticipait déjà (avant la crise) un manque de compétence pour soutenir leur compétitivité :

PWC va jusqu’à affirmer que « les compétences sont et seront de plus en plus la nouvelle monnaie du monde du travail ». Dans ce contexte, favoriser les mobilité internes, arrêter de chercher le mouton à 5 pattes et accompagner les parcours de chaque collaborateur devient un impératif. Quelles stratégies possibles selon la problématique et l’objectif de l’entreprise ?

Objectif 1 : performance et absorption des mutations du poste ou du secteur. Misez sur l’upskilling

Si l’analyse prospective des besoins en fonction de l’évolution des métiers et des marchés est une réalité déjà bien ancrée dans le fonctionnement des services RH, la démarche de formation intégrée au quotidien du collaborateur permet, grâce à l’upskilling (ou développement des compétences), de fidéliser une grande partie des collaborateurs et de les préparer aux nouveaux enjeux, nouveaux projets, développement de nouveaux produits ou segments de marché. Par exemple, dans la relation client, les collaborateurs ont vu leur poste se digitaliser de façon rapide. Une préparation pour renforcer leurs compétences au niveau de la maitrise des outils, méthodes et postures sur les canaux digitaux a pu permettre de faciliter leur quotidien.

Quel type de parcours possible sur une stratégie d’upskilling ? Il s’agit d’une formation en continu visant à actualiser et à enrichir les compétences existantes, les actions de formation sont donc généralement courtes mais régulières, organisées de façon décloisonnées. En 5 à 12 heures, le salarié peut avoir progressé s’il a l’opportunité de mettre en pratique immédiatement les nouveaux acquis et la faculté d’accéder à des ressources régulièrement et en just in time. Cette stratégie suppose une communication régulière des services RH mais également des managers, la valorisation des postures et des aptitudes d’apprendre à apprendre, la promotion de la curiosité et du partage entre pairs.

La préoccupation constante du maintien du niveau de compétence des équipes est un levier de motivation et de fidélisation qui, avec l’arrivée de la génération Z en entreprise, devrait prendre un poids croissant.

Objectif 2 : faire face à une pénurie de main d’œuvre, sécuriser les parcours professionnels des salariés dont les postes ont été transformés voire supprimés. Misez sur le reskilling.

Quelle qu’ait été la préparation de l’entreprise, dans les secteurs les plus impactés par la crise sanitaire, les organisations ont pu subir de nombreux départs, comme cela a été largement le cas dans l’hôtellerie-restauration, par exemple. On constate dans ce secteur une forte pénurie de main d’œuvre à l’heure du redémarrage de l’activité.

Dans ce cadre, le reskilling (ou reconversion) peut constituer une stratégie pour recruter des collaborateurs d’autres secteurs et les former pour qu’ils deviennent opérationnels sur un autre métier ou une autre fonction. Ainsi les salariés des postes logistiques, habitués aux cadences soutenues, peuvent-ils soutenir les « coups de feu » dans la restauration et, sur cette base de savoir-être, appuyer les compétences de service en salle qui leur manquent lors de leur intégration dans l’entreprise. Les dispositifs de POEI (Préparation opérationnelle à l’emploi individuelle) ou de POEC (Préparation opérationnelle à l’emploi collective) mis en place et opérés par Pôle emploi permettent même de former le futur salarié avant son intégration et de bénéficier d’un dispositif de financement.

Sur cette problématique de main d’œuvre, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhaud estimait en juillet 2021 sur France info que « le principal frein à la reprise ne sera ni le variant, ni les difficultés d’approvisionnement temporaires, mais les difficultés de recrutement des entreprises ».

Dans ce contexte, la mobilité interne est également une option à soutenir par des actions de reskilling. Elle envoie en outre un signal fort à l’ensemble des collaborateurs en démontrant la capacité à accompagner, à engager des actions pour maintenir les emplois.

Quel type de parcours possible sur une stratégie de reskilling ? On peut privilégier ici des parcours plus longs de plusieurs semaines à plusieurs mois et asseoir les nouvelles compétences sur une certification. Articuler les modalités digitales, présentielles, l’AFEST avec les activités de production quotidienne peut permettre un ancrage fort des compétences. Le parcours devra forcément être individualisé dans ses modalités comme dans sa durée en fonction du poste, de l’expérience et du passé académique de chaque personne et la performance des actions de formation évaluées régulièrement.

Objectif 3 : réorganiser les circuits de production et soutenir la reprise et la croissance de l’entreprise à effectif constant. Misez sur le cross skilling.

Pour les entreprises contraintes de limiter les embauches, voire de laisser partir une partie de leur personnel, l’adjonction de compétences nouvelles aux compétences déjà maîtrisées par les collaborateurs peut permettre d’étendre leurs périmètres de responsabilités et d’assurer des missions nouvelles, de lancer de nouveaux projets ou produits sans avoir la nécessité de recruter ou en recrutant moins. Le coût d’une opération de cross skilling est généralement 2 à 3 fois moins élevé que le coût d’un recrutement. Miser sur le cross skilling ne signifie pas pour autant adjoindre des missions supplémentaires sans revoir la charge de travail (réelle et non prescrite) initiale et la charge après réorganisation. Le service RH doit interroger longuement les managers pour envisager et construire ensemble une extension de périmètre viable.

Quel type de parcours possible sur une stratégie de cross skilling ? Ils peuvent être très variables selon les postes, le degré de nouveautés induit par les missions supplémentaires et les profils de collaborateurs. Plus les compétences seront proches de celles déjà mobilisées sur le poste et plus la formation sera décloisonnée avec des actions étalées dans le temps et articulées avec les missions quotidiennes. La durée effective de formation formelle sera également réduite. A l’inverse plus les compétences seront éloignées ou complexes, plus la durée et la concentration des actions de formation au moins au départ devront être importantes.

La check list :
comment et pourquoi il est urgent d’agir ?

Que l’on parle d’upskilling, de reskilling ou de cross skilling, les entreprises en général et les services RH en particulier ont tout intérêt à se mobiliser et à saisir les opportunités mises en place par les pouvoirs publics pour financer leur stratégie de gestion des compétences et d’anticipation de leurs besoins.

Quelques points de vigilance et quelques leviers à actionner :

  • Considérer le sujet de la compétence, s’il n’est pas encore traité, est une priorité pour l’entreprise et sa direction générale
  • Engager le dialogue avec tous les collaborateurs en faisant du manager un relais d’engagement et de promotion de la formation et de l’apprendre à apprendre
  • Établir et actualiser les besoins en compétences à court, moyen et long termes en prévision des évolutions des métiers et des fonctions
  • Dépasser le plan annuel de développement des compétences pour s’adapter aux circonstances, aux besoins émergents et aux demandes des collaborateurs et de leurs managers en temps réel
  • Associer les collaborateurs à l’évolution de leur métier et les responsabiliser face à leurs enjeux d’employabilité et aux enjeux de performance de l’entreprise
  • Encourager la culture du partage, du feedback, de la curiosité et ne pas stigmatiser l’erreur
  • Au-delà des postes et des emplois, gérer avant tout des individus
  • Évaluer les actions de formation mises en place et ajuster régulièrement
  • Favoriser le dialogue social et engager le CSE dans la mise en place d’une véritable stratégie de gestions des compétences et des parcours professionnels dans l’entreprise

Suite à la pandémie mondiale, le défi du développement des compétences concerne tous les pays, toutes les entreprises et chaque actif. Dans son rapport “Upskilling for Shared Porsperity” de Janvier 2021, le WEF (Word Economic Forum) a évalué jusqu’à 6 500 milliards de dollars (scénario accéléré), les gains de PIB à l’horizon 2030 si des investissements en développement des compétences sont réalisés à grande échelle dans le monde.

Pour consulter le rapport du WEF dans son intégralité (en anglais), scannez le QR Code.