Le monde est devenu VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity), nous affirmait-on depuis 20 ans.
En 5 minutes de vidéo,
une présentation du concept VUCA
et de ses enjeux
en scannant le QR Code.
Mantra de théoriciens, aphorisme de doctorants, buzzword de conférenciers jusqu’en 2020. Tout à coup à la faveur de la pandémie, VUCA s’est échappé de la toile, faussant compagnie à ses théoriciens pour entrer chez Monsieur tout le monde. Sa première manifestation concrète dans notre vie quotidienne fut un combat pour le papier Lotus et les coquillettes. Attaquant la base de la pyramide de Maslow, on pouvait en être certain, l’incertitude d’approvisionnement en nouilles, la volatilité des cours de la farine, la complexité d’une liste de courses et l’ambiguïté de nos besoins redevenus primaires constituaient bien le signal fort d’une transformation profonde et durable de nos modes de vie.
Nos entreprises fermaient leurs bureaux et ouvraient à la hâte et avec plus ou moins de succès, des espaces-temps productifs sur Zoom. Le cri de ralliement de la sphère productive devenait alors au fil des mois, « Résilience, Agilité, Adaptabilité ». Nous avons ainsi appris, désappris, réappris à vivre et à travailler, à communiquer et à manager en digitalisant au mieux à vue, au pire à l’aveugle. L’heure ne serait-elle pas désormais à la capitalisation sur notre retour d’expérience ?
« Les analphabètes du XXIe siècle ne seront pas ceux qui ne savent ni lire ni écrire, mais ceux qui ne peuvent pas apprendre, désapprendre et réapprendre. »
Alvin Toffler, futurologue
Services RH, direction générale et managers de proximité se sont retrouvés en première ligne pour créer du lien, soutenir le moral des troupes à distance, organiser les canaux d’information et de communication et réorganiser les workflows à la hâte par une boucle quasi-quotidienne d’essai-erreur-correction.
L’Apprendre comme facteur de production pour rester dans la course dans un monde en perpétuelle évolution était (ou aurait dû être) une priorité dans le monde d’Avant. Dans le monde d’Après, l’Apprendre, plus qu’un facteur de production, devrait devenir une façon de penser l’entreprise et son développement.
« Dans une économie où la seule certitude est l’incertitude, le savoir est la seule source fiable d’avantage concurrentiel pérenne. »
Ikujiro Nonaka, théoricien du management par la connaissance
C’est donc bien une learning culture qu’il faut structurer et systématiser au niveau individuel comme organisationnel. Au-delà de la bienveillance, de la transparence, de la RSE en général, l’Apprendre peut-elle devenir la nouvelle valeur cardinale de l’entreprise en 2021 ?
1.
VUCAbulaire du monde d’Après
Passer de l’intention à l’action n’est pas chose facile. Les freins tiennent souvent autant à la structure qu’aux individus. Ce sont donc bien tous les acteurs de l’entreprise qu’il faut s’efforcer d’engager de façon individuelle et collective dans le processus. Et au-delà de l’entreprise, une vision systémique de la transformation des processus d’apprentissage organisationnel permet de prendre en compte cet environnement VUCA dont nous faisons l’expérience dans toutes les dimensions de notre vie, depuis plus d’un an.
Cette pensée systémique a été théorisée par Peter Senge, professeur de management, directeur du Center for Organizational Learning du MIT, dans son ouvrage de référence « La cinquième discipline ».
Cette 5e discipline ou pensée systémique, qui consiste à appréhender les problèmes dans leur globalité interne à l’entreprise mais également au niveau de l’environnement économique, technologique, concurrentiel, humain, est soutenue par 4 autres :
- la révision des modèles mentaux pour favoriser l’esprit critique et la remise en question de ses schémas de pensées pour libérer l’initiative et l’innovation ;
- une vision partagée des objectifs de l’entreprise et des moyens de les atteindre par la redéfinition du leadership dans l’entreprise ;
- la maîtrise personnelle qui vise à susciter l’envie d’apprendre chez les collaborateurs, par le développement d’une learning culture individuelle propre à nourrir l’apprentissage organisationnel ;
- l’apprentissage collaboratif pour transformer les savoirs individuels en connaissances et compétences collectives.
Le point de vue de Peter Senge
sur l’organisation apprenante
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2.
Learning agility et boucles d’or
Remettre en question ses modèles et réinterroger ses pratiques productives, commerciales, managériales… favorisent l’innovation. L’agilité organisationnelle peut prendre appui sur les pratiques réflexives, les retours d’expériences, les « vis ma vie » pour confronter les points de vue au sein de l’organisation, adapter ses pratiques, corriger ses erreurs et développer des solutions plus efficaces.
L’organisation peut encourager la Learning agility (ou agilité d’apprentissage) pour affronter les changements permanents et imaginer des réponses pertinentes. Les chercheurs du Teachers College de l’Université Columbia la définisse comme « un état d’esprit et un ensemble de bonnes pratiques qui permettent aux dirigeants de développer, de grandir et d’utiliser en permanence de nouvelles stratégies qui les aideront à résoudre les problèmes de plus en plus complexes auxquels ils sont confrontés dans leurs organisations. »
Cette learning agility suppose :
- une flexibilité pour accueillir les idées et solution nouvelles ;
- une vitesse d’exécution ;
- une appétence à l’expérimentation ;
- une prise de risque associée à l’expérimentation ;
- un état d’esprit collaboratif ;
- une ouverture à la critique.
Pour qu’un collaborateur accepte la prise de risque, l’erreur et la critique constructive, l’entreprise, ses dirigeants, les managers doivent être ouverts et bienveillants et créer un climat de confiance. L’erreur, souvent stigmatisée voire sanctionnée, peut à l’inverse être envisagée comme un levier d’apprentissage individuel et collectif.
La learning agility
expliquée en moins de 10 minutes
par W. Warner Burke
du Teachers College of Columbia
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L’erreur comme situation d’apprentissage
Une gestion efficiente de l’erreur assure une richesse des retours d’expérience sur laquelle l’entreprise pourra capitaliser en partageant les leçons tirées et les correctifs apportés au sein de communautés de pratique par exemple, sous la forme de webinaires internes, d’un podcast ou d’une vidéo témoignage mettant en scène l’auteur de l’erreur, ses pairs et sa hiérarchie. Cette capacité à capitaliser sur l’erreur encourage la prise d’initiative dans un contexte où l’autonomie de chacun est renforcée par la distance. L’erreur constitue une source précieuse d’informations et de feedback tant pour l’organisation que pour l’individu. Son traitement et les plans d’action qu’elle va induire sont à même de favoriser le passage de l’apprentissage individuel à l’apprentissage organisationnel et la transformation des savoirs tacites individuels en savoirs explicites collectifs.
Boucles d’apprentissages : pour éviter de tourner en rond
Pour faire face à des crises comme celle que nous affrontons depuis plus d’un an, deux réactions sont possibles en matière d’apprentissage. Ce que Chris Argyris, chercheur américain en sciences sociales du XXe siècle, définit comme des boucles d’apprentissage :
- l’apprentissage en simple boucle est un simple ajustement des pratiques et des process. Il résulte de la détection d’un dysfonctionnement et consiste en une correction des pratiques sans revoir la stratégie qui a présidé à la définition desdites pratiques ;
- l’apprentissage en double boucle est une remise en cause de la stratégie globale. Au-delà de l’action engagée pour corriger le dysfonctionnement, c’est bien la stratégie qui sous-tend les pratiques qui est repensée pour éviter que l’entreprise ne soit de nouveau confrontée à ce dysfonctionnement.
Ainsi en matière de formation, les sessions présentielles étant interdites durant le confinement, les entreprises et organismes de formation en présentiel ont massivement transposé, en digital, leurs sessions en salle sans adaptation de la pédagogie ni de l’accompagnement : simple boucle.
Désormais, la prise de recul et l’identification des problèmes d’engagement de l’apprenant, les phénomènes de décrochages massifs constatés, conduisent à envisager de revisiter les pratiques de formation, alors digitalisées à la hâte, pour modifier en profondeur leur stratégie avec un développement d’une offre digital learning plus conforme aux bonnes pratiques en la matière : double boucle.
Ces processus de simple et double boucle sont toujours itératifs. Le choix de la simple boucle a priori peut s’expliquer par le besoin de rapidité d’exécution mais également par des mécanismes individuels inconscients de routine défensive et de résistance au changement.
Pour en savoir plus sur les boucles d’apprentissage,
un module de l’Essec (environ 12 minutes)
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Par une remise en question de ses pratiques d’apprentissage et par une culture interne forte, l’entreprise doit être capable progressivement de favoriser les apprentissages en double boucle pour devenir une véritable organisation apprenante et encourager l’innovation.
Le changement passe donc non seulement par les process d’apprentissages mais également par la hiérarchie et le leadership dans l’entreprise.
3.
Pour une gouvernance de l’Apprendre
La transformation de l’entreprise passe avant tout par sa direction générale et par une vision partagée des objectifs. Sans une volonté affirmée des dirigeants, la culture de l’Apprendre ne peut pas prendre.
« Dans une organisation apprenante, les dirigeants sont des concepteurs, des gestionnaires et des enseignants ».
Peter Senge
Pour une véritable gouvernance de l’Apprendre, les objectifs stratégiques sont définis par instances de direction et le service RH. Pour les objectifs plus opérationnels, ce sont les managers de proximité qui doivent être sollicités et associés à la démarche.
Compte tenu des objectifs qui leur sont assignés, les managers peuvent parfois avoir du mal à dégager du temps de formation à leurs équipes, temps considéré encore trop souvent comme improductif. Tout l’enjeu est alors de démontrer les bénéfices des actions de formation sur le développement du business et des résultats. Ce ne sont pas tant le produit formation et ses caractéristiques qui sont à promouvoir ici que les résultats attendus et l’utilité du service. Cette démarche ROIste nécessite de définir les objectifs stratégiques de la démarche de formation en continu : mutation des métiers, intégration de contraintes légales ou réglementaires en perpétuelle évolution, adoption de technologies nouvelles pour rester compétitif, rétention des talents dans les équipes…
Le séquençage peut également être préparé avec le manager pour maximiser l’utilisation des périodes creuses ou des créneaux horaires qui peuvent être alloués au suivi des parcours. Des ressources pédagogiques accessibles partout et en just in time, de courte durée, permettent de créer une véritable routine d’apprentissage pour les équipes sans grever le temps effectif de production. Pour ce faire les modalités, les temporalités et l’ingénierie de formation doivent être souples, diversifiées et personnalisées. C’est enfin la capitalisation sur les savoirs et savoir-faire individuels qu’il faut organiser pour transformer la connaissance individuelle en compétence organisationnelle.
Le service de formation doit être perçu comme le partenaire privilégié du manager au service de l’atteinte de ses objectifs. Pour lui, les indicateurs retenus pourront refléter l’assiduité de ses collaborateurs, la notation du parcours, le partage de savoir-faire à l’intérieur de l’équipe et avec les autres services, la pro-activité de ses collaborateurs dans l’apport de solutions…
La direction peut être associée à chaque action de formation stratégique pour le développement de l’entreprise en prenant la parole au sujet de l’importance de l’acquisition des compétences proposées et le rappel des objectifs. Les leaders de l’entreprise doivent respecter une cohérence dans le discours y compris dans les périodes de crise pour éviter un décalage entre le prescrit (« formez-vous, partagez vos connaissances, multipliez les retours d’expérience »…) lorsque tout va bien et le réel (« pas le temps »…) lorsque des difficultés surviennent.
4.
Tous sur le pont :
de l’apprentissage individuel à la connaissance organisationnelle
L’apprentissage organisationnel suppose de relier entre eux les apprentissages individuels, de les ordonner, de les combiner pour créer une connaissance enrichie capable de participer à l’atteinte de l’objectif organisationnel. L’apprentissage organisationnel ne correspond pas à la somme des apprentissages individuels. Avant d’être transformé en savoir collectif, le savoir est morcelé et parcellaire.
« L’apprentissage individuel est une condition nécessaire mais insuffisante pour l’apprentissage organisationnel. »
Chris Argyris
Ce processus implique d’engager les salariés dans une routine d’apprentissage mais également dans le partage de leurs connaissances et compétences nouvelles via des forums internes ou des webinaires, dans le cadre de communautés de pratiques ou de groupes de co-développement, voire par le biais de la création de contenus plus formels à destination de ses pairs ou d’autres services de l’entreprise.
L’entreprise tirera divers bénéfices à transformer ainsi occasionnellement les experts métier, les commerciaux ou techniciens en User Generated Content (UGC), sous l’égide du formateur, animateur de cette nouvelle communauté apprenante autant que sachante :
- sécuriser les savoirs et savoir-faire des meilleurs experts de l’entreprise ;
- favoriser l’onboarding des nouveaux entrants ;
- et construire pas à pas une véritable organisation apprenante.
L’UGC permet ainsi d’offrir des ressources plus informelles, plus concrètes et directement liées à un problème opérationnel rencontré : « les experts parlent aux expert ». Ces ressources sont souvent plus engageantes avec des taux de mémorisation et de compréhension supérieurs.
Des discussions et des confrontations de points de vue (modérées et animées par le service formation/le formateur ou le tuteur) vont contribuer au développement de la culture de l’Apprendre partout tout le temps, dans une dynamique de co-construction des savoirs.
C’est aussi une façon plus rapide de construire une véritable bibliothèque de ressources utilisables :
par les apprenants en situation de travail qui accèdent ainsi en just in time à une réponse rapide et adaptée à un problème immédiat ;
par le service formation pour enrichir les parcours, de cas pratiques, de témoignages, de gestes et postures métiers…
C’est enfin un moyen d’éviter de perdre le savoir et savoir-faire de collaborateurs expérimentés qui quittent l’entreprise.
Bienveillance, confiance et feedback
Encourager les salariés à partager leurs acquis dans le cadre plus large de l’organisation et non de leur mission spécifique constitue toutefois un effort qui ne peut se concrétiser sans un climat de confiance dans l’entreprise. Le partage peut amener le débat et la confrontation d’idées opposées. La bienveillance doit être à la base du système et les bonnes pratiques et comportements appropriés gagnent à être rappelés régulièrement à tous les contributeurs et apprenants.
Des collaborateurs-relais peuvent être désignés pour diffuser les connaissances collectives émergentes des partages de connaissances sur les bases de données de l’entreprise, sur l’Intranet, sur la chaîne de télévision interne… L’entreprise peut être réticente à confier à une personne la formalisation des connaissances nouvelles, issues de la confrontation des expériences, apprentissages, erreurs de ses collaborateurs. La question de la confiance se pose dans les deux sens entre l’entreprise et le collaborateur…
Enfin, sur un plan plus personnel, le collaborateur qui partage ses connaissances doit être encouragé, distingué d’une façon ou d’une autre pour ce rôle qui dépasse généralement le cadre de ses missions. En l’absence de reconnaissance, un sentiment d’inutilité peut freiner la dynamique d’apprentissage et de partage.
L’individu ou la communauté de pratique doit recevoir des feedbacks quant à l’utilité de son partage de connaissances dans l’évolution des process, des modes opératoires, des nouveaux outils adoptés…
Et côté service formation ?
Pour le service formation, cette dynamique d’enrichissement des connaissances organisationnelles constitue un nouveau challenge. Guider l’apprenant dans son nouveau rôle de formateur occasionnel 3.0 demande un investissement pour le formateur qui pourra :
- présenter des exemples de réalisation de courtes vidéos ou réaliser des tutos (on en trouve beaucoup sur Internet) sur le thème « comment filmer avec son smartphone ». Attention, filmer et décortiquer un geste métier peut s’avérer compliqué surtout si l’apprenant devient homme-orchestre, à la fois réalisateur et acteur ;
- réaliser lui-même des interviews de retours d’expérience des experts ;
- fournir des modèles de rédaction pour des podcasts audios, expliquant la différence entre « rédiger pour être lu » et « rédiger pour être écouté » ;
- réaliser un guide de bonnes pratiques en matière de curation de contenus et notamment la vérification des sources, leur fiabilité, l’adéquation avec les valeurs de l’entreprise ;
- donner un feedback quant à la perception des ressources par les autres collaborateurs ;
- valider les réalisations ou modérer les échanges entre pairs ;
- ajouter des métadonnées sur les nouvelles ressources pour enrichir une bibliothèque de ressources pédagogique structurées et facilement utilisables vérifier l’actualisation régulière ou le renouvellement des ressources et archiver les ressources obsolètes.
Bienvenue dans l’ère de la learning culture
Avant de vous lancer dans une révolution copernicienne de la learning culture organisationnelle dans votre entreprise, nous vous suggérons quelques étapes clés :
- si la direction n’impulse pas le mouvement de façon spontanée, engagez le dialogue et présentez, à l’aune de la crise que nous traversons tous, les bénéfices d’une culture de l’Apprendre en interne ;
- évaluez les forces et les faiblesses de votre système de formation en interne et l’avancement de la digitalisation dans votre entreprise ;
auditez vos outils, vos process et évaluez les ressources dont vous disposez ; - fixez des sous-objectifs réalistes à court et moyen termes qui, articulés et séquencés, aboutiront à la construction progressive d’une organisation apprenante ;
- et, si besoin, faites-vous accompagner par des experts.
Car bâtir une learning culture, c’est :
- outiller la résilience et l’adaptabilité par la connaissance individuelle et la compétence collective ;
- aligner les ressources immatérielles et la richesse humaine de son entreprise avec ses objectifs business ;
- transformer son modèle managérial et faire de ses managers de véritables coachs à même d’anticiper les évolutions métiers et de prévenir l’obsolescence des compétences ;
- fidéliser ses collaborateurs en garantissant à chacun une actualisation de ses connaissances, un développement de ses compétences et in fine une sécurisation de son parcours professionnel ;
- responsabiliser ses équipes sur l’impératif de se former en continu et promouvoir l’autonomie de chacun ;
- instaurer une culture de l’apprendre partout, tout le temps pour renforcer la proactivité et l’anticipation pour évoluer au rythme des mutations structurelles et conjoncturelles ;
- favoriser le partage d’informations et le travail collaboratif pour renforcer ses capacités d’innovation et rester compétitif dans le monde VUCA.